Une (très) rare étude sur les réfugiés (évacués) Alsaciens en Limousin

Un remarquable travail de Daniel Bernoussou, ancien professeur d’histoire au lycée Renoir de Limoges.

. Je suis tombé dessus par hasard en faisant une recherche sur le nom Holderer.

http://bernussou.daniel.free.fr/

http://bernussou.daniel.free.fr/02-avant-propos.pdf

Extrait de l’Introduction

« Une dernière réalité, sans doute la plus forte de toutes celles jusque là décrites, mérite d’être évoquée. Il s’agit du poids de la communauté, particulièrement sensible en campagne. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la société limousine est collective. Elle l’est dans son organisation et son fonctionnement. Les pratiques agricoles collectives, l’entraide systématique, la famille large, souvent polynucléaire et cohabitante sont quelques-unes de ses nombreuses manifestations. Société collective mais non collectiviste car, ni la hiérarchie des groupes qui la composent – grands propriétaires, artisans, laboureurs, journaliers, domestiques.–, ni l’autorité au sein de chaque cellule, par exemple l’autorité patriarcale au sein de la famille, ne sont contestées. Collective, la société l’est aussi par les croyances et représentations qui la soudent. Qu’elles soient privées et cachées – la sorcellerie, les pratiques superstitieuses – ou publiques et démonstratives – la dévotion aux saints – les diverses manifestations témoignent d’une grande rigidité mentale, d’une résistance à la modernité. L’Eglise s’y est heurtée, et a dû se contenter d’une christianisation superficielle. Malgré des démonstrations brillantes comme les Ostensions, l’indifférence de la population reste profonde, doublée parfois d’un anticléricalisme virulent. Département déchristianisé, avec toutefois de fortes nuances locales, la Haute-Vienne est devenue une terre de mission catholique. Début septembre 1939, la guerre surprend une population départementale très éprouvée économiquement et socialement, sans ressort démographique, peu ouverte sur l’extérieur. Tout de suite, cette guerre lui impose solidarité, effort collectif et sacrifice. Il lui faut fournir des hommes. Il lui faut aussi accueillir une autre population, victime comme elle du conflit. Quelles réponses, la société limousine telle que nous l’avons rapidement saisie, forge-t-elle et, dans la rencontre obligée, jusqu’où est-elle prête à aller ?  »

Quelques extraits du texte :

 » Certaines grosses communes apparaissent bien timorées : ainsi Saint-Yrieix-la-Perche, commune de plus de 7 000 habitants, n’envisage que 150 hébergés ! Il est vrai que le maire signale qu’il n’y a pas de possibilités en « château ou usine », et qu’il se rabat sur les hôtels, solution évidemment plus confortable pour les administrés et.. les élus. Pour l’essentiel, les capacités déclarées des communes sont donc réduites »

 » A l’entassement fréquent s’ajoute souvent l’inconfort car le terme de maison d’habitation utilisé par l’administration s’avère bien large si l’on en croit un témoin direct, ouvrier porcelainier de Rochechouart : « Ce qui m’a frappé, et ça me restera toujours en mémoire, c’est voir les maisons qu’on a réquisitionnées : c’était des poulaillers où les poules étaient encore dedans, ils ont nettoyé ça, ils ont arrangé ça pour y habiter. » Et même si le logement en poulailler reste exceptionnel  »

« Ainsi à quelques semaines de l’hiver, plus de 60 % des logés ne bénéficient d’aucun chauffage. Le temps presse d’où la décision des autorités d’acheter près de 3 000 appareils supplémentaires. Mais l’effort ne parvient pas à satisfaire tous les besoins et, dans certaines communes, face à la pénurie d’appareils, de « véritables cuisinières en maçonnerie », inconnues en Limousin, sont construites par des réfugiés pour un coût modique – 150 francs –. Leur efficacité, bien réelle, convainc le préfet de recommander cette solution aux maires avec liste d’ouvriers-maçons alsaciens à l’appui. Cette incitation s’avère judicieuse car, quelques semaines plus tard, l’hiver 1939-40, particulièrement rigoureux, impose tout de suite une chauffe importante. »

« Tous les témoignages alsaciens insistent sur la surprise très désagréable des évacués découvrant la quasi absence de commodités intérieures dans les habitations de la campagne limousine. L’eau qu’il faut puiser, surtout les toilettes au fond du jardin ! Or les archives préfectorales sont presque muettes sur cet aspect »

« Dans les mémoires communaux, peu de travaux ont trait à l’équipement sanitaire. Les quelques installations de toilettes et de lavabos réalisées concernent les écoles alsaciennes. Seules deux opérations de quelque ampleur financière ont lieu. La première, à Saint-Laurent-sur-Gorre, consiste en l’installation d’une pompe avec bac et canalisation publique afin de pallier les risques d’assèchement de la source. La seconde, à Saint-Yrieix-la-Perche, vise à raccorder les fosses d’aisance de quatre immeubles occupés par des réfugiés au système d’égouts de la ville.  »

 » dans le cas des Alsaciens, le problème est d’emblée majeur et sa résolution absolument cruciale. En effet lorsque les évacués arrivent, les Limousins découvrent avec stupéfaction qu’il est impossible de communiquer avec nombre d’entre eux, pourtant Français, pourtant concitoyens. »

« Cette volonté d’accueil spirituel, bien légitime, lorsqu’elle est trop appuyée, provoque de vives réactions comme en témoigne la polémique qui défraie la chronique locale de la commune du Chalard en octobre 1939. L’émoi naît d’un article publié dans la Courrier du Centre à la mi-octobre : « Qu’ils soient les bienvenus et partout les bien reçus nos chers compatriotes, si dignes d’estime et d’intérêt à tous les points mais surtout comme catholiques et comme français, ce qui nous les rendra doublement chers. » La réaction ne tarde pas. Elle s’exprime dans le Populaire du Centre, journal concurrent de sensibilité socialiste : « La commune du Chalard est une commune républicaine et laïque. L’auteur de l’article le sait mieux que tout autre. Les 3/4 des enterrements sont des enterrements civils. Mais la population est logique et lorsque les Alsaciens sont arrivés, ils ont été reçus avec une sympathie émue et il n’est venu à personne l’idée de leur demander s’ils étaient catholiques, protestants, juifs ou libres-penseurs. Ils étaient français, ils étaient  malheureux, voilà pourquoi ils ont été bien reçus. Il est regrettable qu’au moment où l’union de tous est un devoir, quelque-uns cherchent à réveiller des polémiques qui ne peuvent que nuire à la fraternité française. » La polémique, pourtant, ne s’envenime pas car l’évêché met un point final à la dérive. « Ce sont des frères en tant qu’hommes et en tant que Français » (Courrier du Centre). »

« L’Echo de Saint-Yrieix enrichit-il la perception locale de la présence alsacienne ? La réponse est nettement positive et pour deux raisons. Le volume d’informations est important avec une trentaine de notices soit le double des communiqués publiés dans la chronique locale du Courrier du Centre. Surtout, l’information est complète. En plus des communiqués institutionnels, on peut y lire des articles marqués du souci de précision et d’explication quasi pédagogique. Sont analysés les grands moments du séjour : ainsi l’arrivée et l’accueil font-ils l’objet d’un article de 60 lignes « Les réfugiés alsaciens à St Yrieix  ». Dès la première phrase, les renseignements essentiels sont donnés : « Depuis le 6 septembre, Saint-Yrieix a reçu plus de 3 500 réfugiés alsaciens venant de Gambsheim, la Vanthezenau (sic) et Niederbronn » et l’auteur de décrire, sur le même mode, l’accueil, ses difficultés, ses résultats tout en s’autorisant quelques formules émouvantes bien qu’approximatives: « ils ont dû quitter leurs foyers et traverser une grande partie de la France pour demander asile à la cité arédienne » ! De la même façon, en décembre 1939, deux articles sont consacrés au desserrement par départ de 300 évacués vers la commune voisine de Coussac-Bonneval. Les raisons et les avantages escomptés sont présentés quitte à subir la censure : «…leur ( les évacués) rendre la vie aussi douce que possible tant que les circonstances les tiendront éloignés de leur petite patrie ». Censure Même précision, même émotion dans les articles relatant la fête de Noël et le départ en août 1940. Plus originaux, quelques articles mettent en scène la population évacuée elle-même, avec la même volonté d’expliquer. Un article de la fin décembre décrit le conseil de révision des « réfugiés alsaciens » : « Tous avaient arboré d’importantes cocardes tricolores et nombre d’entre eux un petit tablier blanc, tradition en Alsace, avec brodés par les filles, noms, prénoms, localité. » Dans un autre, en vingt lignes, est exposée la légende de la source de Sainte-Odile, patronne de l’Alsace. »

« Le regard alsacien est plus sévère sur les manières de vivre limousines. On sait, parce qu’ils l’ont écrit abondamment, que, pour les Alsaciens, l’étrangeté limousine réside dans les conditions de vie étonnamment frustes : les toilettes au fond du jardin, l’eau que l’on puise, l’électricité peu fréquente, la cheminée qui fume en guise de chauffage… Les témoignages limousins recueillis concordent. Sans pouvoir préciser de quelle façon, les évacués font ressentir aux locaux le retard de leur existence matérielle et blessent ainsi leur amour-propre. Le phénomène est suffisamment répandu et dangereux pour que des élus alsaciens interviennent afin d’éteindre le feu  »

 » En février 1940, une équipe mixte, limousine et alsacienne, de football est formée à Saint-Yrieix-la-Perche. En mars, deux rencontres ont lieu entre équipes alsacienne et limousine.  »

 

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