L’histoire de Burgou, bandit du Limousin

SUR LES TRACES DE BURGOU

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 » En me demandant de vous parler de Burgou, Madame Clavaud m’a mis dans la nécessité de recourir à un travail de compilation dans lequel il m’a été difficile de faire preuve d’originalité. Des conversations avec Félicie Brouillet dont j’admire la verve puisée aux sucs du terroir les plus authentiques m’avaient en 1974 incité à écrire pour Périgord Magazine un article intitulé ‘Burgou fut-il un gentleman cambrioleur ?’ Je reconnais aujourd’hui que mon papier était bien court pour traiter valablement un tel sujet. Aussi, pour ne pas risquer ce soir une telle insuffisance, ai-je dû me livrer à ce travail de recherches et de recoupements dans lequel je m’embrouillais à mesure que j’avançais. Pour ne pas citer à tous moments les sources auxquelles je me suis référé, je vais vous donner tout de suite, en vrac, les noms de ceux que j’ai pillés pour en arriver à cette sorte de macédoine que je vais offrir à votre appétit. Ce sont Félicie Brouillet ; Jean-Marie Hubach, journaliste ; Bernard Romefort, le propriétaire de Ballerand ; et surtout Charles Rivet, journaliste limousin, auteur de ‘La Bande à Burgou’, qui a tenté d’échapper à la force de la légende en se référant essentiellement aux textes officiels, tant d’état civil que judiciaires. Car la légende ne peut que nous plonger dans la perplexité quant à l’image que nous voudrions nous faire du bandit. En effet, quand nous interrogeons de vieilles personnes qui d’ailleurs ne peuvent rapporter que des souvenirs d’autres souvenirs, nous nous trouvons en face de deux images contradictoires de notre génial filou. La première ? C’est une sorte d’épouvantail, d’ogre, destiné à faire se tenir les enfants tranquilles. « Si tu continues, j’appelle Burgou ! » Voyez donc que cette image veut que le nom de Burgou provoque une réaction de réprobation, de rejet, comme s’il s’agissait du diable. Par parenthèse, je dirai que je propose pour expliquer l’étymologie de Burgou, que ce terme doit-être une forme, en langue d’Oc, de ‘Burgau’ qui se traduit en français par bourdon. Le bourdon est un hyménoptère certes moins dangereux que la guêpe ou le frelon, mais qui pourrait, si on l’enfermait maladroitement dans la main, faire une douloureuse piqûre. Ça c’est le Burgou antipathique. L’autre image, transmise et agrémentée par la légende, est celle d’un Burgou redresseur de torts, sorte d’Arsène Lupin, sorte de bandit d’honneur, qui prend l’argent dans la poche du riche pour le glisser dans celle du pauvre. Il n’est pas surprenant que, dans nos campagnes où la pauvreté était chose commune en cette seconde moitié du XIX° siècle, cette image ait pu naître, ait prévalu souvent, le pauvre voyant en Burgou une sorte de vengeur, apportant une satisfaction de revanche aux démunis qui considéraient n’avoir pas reçu leur juste part dans la répartition des richesses. Entre ces images extrêmes, serait-il possible de rejeter l’une au profit de l’autre ou plutôt de s’en faire une troisième, bâtarde, nuancée comme doit en faire une, le malheureux candidat au baccalauréat quand il a longuement séché sur sa dissertation ? Je dois avouer qu’en m’empêtrant dans ce problème, je me suis trouvé souvent dans la pénible situation de ce malheureux candidat. ‘Quand le vin est tiré, il faut le boire’. Si nous ne pouvons maîtriser notre plume, laissons-nous mener par elle et prenons ‘le taureau par les cornes’ ou de préférence Burgou par son commencement. Voici son acte de naissance :

« Le dixième jour du mois d’avril de l’an 1811, à cinq heures du soir, par devant nous Pierre Marc Soury, maire de la commune de Marval, faisant les fonctions de l’officier public de l’état civil de ladite commune de Marval, canton de Saint-Mathieu, département de la Haute-Vienne, est comparu Denis Gourenchas, âgé de quarante ans, profession de cloutier, demeurant au village de la Nadalie, de lui déclarant et de Marguerite Chanteraud, son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner le prénom Jean Gourenchas. Les dites déclarations et présentations faites en présence de Jean Gourenchas, âgé de 38 ans, de Jean Blanchard, âgé de 45 ans, propriétaire agriculteur demeurant au dit village de la Nadalie et de Françoise Chanteraud. Le premier témoin est oncle paternel de l’enfant ; le second est un voisin du père dudit enfant, et Françoise Chanteraud est tante maternelle dudit enfant et lesdits père et témoins n’ont pu signer le présent acte de naissance de ce … ? interpellés après lecture faite. » sa mère mourut peu après ses couches. Son père Denis se remaria avec Marguerite Matribus qui donna naissance à son demi-frère prénommé aussi Jean. Ecoutez : « Aujourd’hui, le 7 mars de l’an 1814, par devant nous Pierre Marc Soury, maire de la commune de Marval, etc. … sont comparus : Denis Gourenchas âgé de 50 ans, profession de laboureur, demeurant au village de la Nadalie, de cette commune, lequel nous a déclaré la naissance d’un garçon de son légitime mariage d’avec Marguerite Matribus son épouse. Lequel a donné le prénom de Jean Gourenchas. Témoins Jean Devicle, oncle âgé de 21 ans ; Jeanne Marchive âgée de 60 ans et Marie Rouderie demeurant tous au village de la Nadalie, etc. … Peut-on après cela, ajouter foi aux actes officiels ? Voilà un Denis Gourenchas qui a 40 ans. Il se remarie après veuvage et deux ans et onze mois plus tard, il a 50 ans. Ce n’est pas flatteur pour la nouvelle épouse. Remarquons aussi qu’il a changé de métier et qu’il a fait inscrire ses deux fils sous le même prénom. Quel Jean Gourenchas sera Burgou ? Cela me fait penser à une savoureuse histoire racontée, je crois, par Bernard Shaw. Il s’agit de deux jumeaux, si pareils qu’on les confond. L’un d’eux meurt. Toute sa vie, le survivant se demande si ce n’est pas lui qui est passé outre-tombe. « Mais ce n’est pas vous, lui dit-on, puisque vous êtes ici. Comment voulez-vous que je le sache, mes parents eux-même ont toujours déclaré l’ignorer ». Arrivé là, j’aurai voulu retracer chronologiquement la vie de Burgou. J’ai dû renoncer à le bien faire, les références sur lesquelles je me suis appuyé manquant de dates et s’emmêlant presque inextricablement dans le temps, et parfois se contredisant. Toujours est-il que Burgou, dispensé de service militaire, ayant opté pour le métier de maçon, s’engage résolument, vers sa vingtième année, dans le métier plus lucratif de voleur, comme en fait foi une confession apparemment fort sincère qu’il fit en 1891 à un journaliste limousin. C’est Charles Rivet qui la relate sur un journal de Limoges, à une date fort postérieure, sans préciser le nom de l’interviewer. Burgou avait alors 81 ans. Cela se passe dans la commune de Vicq-sur-Breuilh, au sud de Limoges, sur la nationale 20, dans une affreuse masure dont la plupart des menuiseries ont été arrachées pour assurer le chauffage. « – Quel était votre état ? lui demandons-nous – Maçon, répondit-il, mais j’en avais un autre, et le vieux brigand sourit dans sa moustache. » Puis sans se faire prier, il nous raconte comment la vocation lui en est venue, un jour, en voyant sur une table, dans une maison où il n’y avait personne pour le moment, des couverts d’argent. « – Pendant plusieurs années, nous dit-il, j’ai travaillé mais je ne fus pas toujours récompensé de mon travail. » L’expression dont il se sert est typique. Il nous explique complaisamment ce qu’il entend par le mot ‘récompensé’, il lui arriva plusieurs fois de forcer des portes et des secrétaires et de ne rien trouver à emporter.

– Nous travaillions comme cela, la nuit, répond-il, presque jamais le jour, et nous avions nos poches pleines d’argent. Cependant, pour donner le change, nous avions un emploi journalier en vu et au su de tout la monde. Ainsi, moi, au moment de mon arrestation, j’étais employé chez un maire.- Racontez-nous votre arrestation, lui disons-nous. – Volontiers, répondit-il, voilà la chose : Un jour de foire, Pelletingeas, un des nôtres, lia conversation avec un gendarme et se mit à jouer avec lui. Ce gendarme se nommait Perière ; il gagna 15 F à Pelletingeas. A cette époque, il y avait à Oradour-sur-Vayre un très riche propriétaire, M. Monlivreuf, qui avait chez lui plus de 30 000 F. On le savait et Perière offrit à Pelletingeas d’aller le voler. Mon camarade refusa et envoya Perière se promener. Mais, malgré ça, le gendarme se leva et dit : ‘Pelletingeas, au nom de la loi, je vous arrête’. C’était on le comprend bien un piège que le gendarme tendait à Pelletingeas, il n’a pas mordu, on l’a quand même arrêté. » Sous les verrous, le prisonnier mangea, comme on dit, le morceau et fit arrêter ses complices. Ceci se passait en 1834. « J’avais alors 24 ans, nous dit Burgou, lorsque je vis que l’on m’arrêtait, je fis comme les autres et je fis emprisonner tous mes complices, et jusqu’à la Binchou qui vivait avec moi, après avoir quitté son mari, et nous servait d’indicatrice. Elle avait refusé de venir me visiter en prison.Je lui ai fait payer cher son infidélité et elle a attrapé cinq ans de prison… » Burgou subit deux années de prévention à Rochechouart. Il s’évada, fut repris, jugé, condamné à vingt ans de bagne. Le 31 janvier 1837, la Cour rendait son arrêt et condamnait : Jean Gourenchas, dit Burgou, à 20 ans de travaux forcés. Pierre Quinquette à la même peine. Chevalier à 12 ans de travaux forcés. Louinet et Nez-Noir à la même peine. Petit-Corps, Michatte et Tire-aux-Gens à 5 ans de réclusion. Simon Gourenchas à 10 ans de réclusion. La Cour décidait en outre que l’exposition publique des condamnés aurait lieu sur la place publique de Saint-Mathieu. Son procès a duré 15 jours. Les comparses, si unis dans l’accomplissement de leurs larcins, dans les festins, les ripailles, qui suivaient, se sont lamentablement divisés devant la Cour d’Assises. Ce fut à qui tirerait le mieux son épingle du jeu en accusant les autres. Dans cette bataille du chacun pour soi, Burgou fut, à n’en pas douter, le plus habile puisque ses compagnons iront au bagne alors qu’il demeurera à la prison de Limoges pour être gracié cinq ans plus tard. – « J’avais déjà subi cinq années d’emprisonnement quand M. Lezeau qui s’intéressait à moi, ainsi que M. Dumont, profitèrent du passage à Limoges du duc de Nemours, ( 2ème fils de Louis Philippe) pour me faire gracier du reste de ma peine. » Pourquoi Burgou n’est-il pas parti au bagne ? Après le procès, il a continué à renseigner la justice sur les agissements de la bande, dénonçant tout, donnant les noms des indicateurs, des acteurs, des receleurs. Mais ses révélations, illes fait au compte-gouttes pour qu’on le garde dans l’espoir d’en savoir toujours davantage. Si bien que 2 ans plus tard, en 1839, 47 de ses anciens amis comparaissent pour un second procès. Burgou, présent en tant que témoin, les accable si bien qu’on a pu dire qu’il usurpait le rôle de l’avocat général.

La police, sinon la Justice, reconnaissantes de tels services, le gracient trois ans plus tard. Libéré, Burgou revient à Chalus, puis à Angoulême où il se marie, puis à Saucay dans les Deux-Sèvres. Il est emprisonné un temps à Poitiers, puis libéré pour services rendus à la police. Nouveau Vidocq, il est engagé dans la secrète qu’il quitte bientôt, victime, dit-il, des envieux. Et vers 1876, il revient en Limousin. Il a alors 65 ans. – « Un jour, je traversais Magnac-Bourg, me rendant à Limoges, quand, épuisé de fatigue, je rentrai dans la maison où vous êtes allé ce matin. Il y a dix-huit ans de cela, mais je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais chaud et je demandai un verre d’eau. La femme que vous avez vue ce matin et qui était alors une belle fille, me présenta le verre d’eau que je demandai après y avoir mis du sucre. Jem’attardai quelque temps à lui causer. Elle me raconta qu’elle était veuve, qu’elle s’ennuyait beaucoup et qu’il ne tenait qu’à moi de rester avec elle. J’étais tellement las de mon existence vagabonde que j’acceptai son offre avec plaisir. Le soir même, elle me remettait tout l’argent qu’elle possédait, trois cents et quelques francs environ. Depuis, je ne l’ai plus quittée. » La justice du milieu voudrait que Burgou soit alors liquidé pour trahison. Mais dans sa bande, on s’est tous refusé au meurtre ; ses anciens amis sont morts au bagne ou, s’ils en sont revenus, se terrent, affaiblis aussi par l’âge ; et ce mendiant loqueteux, retiré assez à l’écart de son ancien royaume, ne peut plus être un objet d’envie.Il s’est établi auprès de cette veuve, il ne la quittera pas malgré la douce folie qui l’atteint, et ils vivront tous deux d’aumônes. Il meurt en 1895, à 84 ans. Dans cette longue vie, la carrière de voleur, celle des brillants exploits qui ont contribué à la légende, n’a duré que cinq à six ans, avant 1837, à peine plus de temps qu’il n’en faut à un présidentdes U.S.A. pour passer à la postérité ! Pour raccourcir, je ne vais vous donner lecture que d’un petit nombre de ses aventures. Pour les réussir, comme tout bon chef d’armée, il recourt d’abord à un excellent service de renseignements, ses indicateurs, ses indicatrices, sont partout : à Chalus, à Marval, à la Chapelle-Monbrandeix, à Piégut, à Busserolles, à Abjat, à Augignac, peut-être même à Nontron où l’on a gardé le souvenir de son intrusion tout à côté, rue de la Croisette, chez un surnommé Chantevêpres. Ce brave homme, sacristain de son état, si l’on en croit son surnom, terrorisé, ne fut pas volé, mais dut régaler la bande. En plus de ses indicateurs, Burgou disposait de receleurs, d’amis chez qui il pouvait se réfugier, d’amis qui fournissaient des alibis, d’aubergistes qui, pour lui, faisaient fi des règlements de police. Voici donc un choix de ses aventures les plus typiques. « Un jour, nous nous trouvions à Montecaille, dans la Charente-Inférieure, quand un de nos indicateurs nous signala un gros négociant nommé Chessoux qui était ‘bon à faire’. Nous arrivons la nuit, nous fracturons une porte et nous pénétrons dans la salle à manger. Dans un secrétaire, nous trouvons tout de suite 15 000 F en or et nous nous en emparons. La maison était bonne. Au moment où nous allions monter au premier visiter les armoires, nous entendons les portes s’ouvrir, nous nous cachons vite dans un placard et nous voyons arriver la fille de la maison, qui était malade et venait chercher du sucre dans le buffet de la salle à manger. Entendant du bruit, les parents demandent : ‘- Qui est là ?’ La fille, n’ayant pas répondu tout de suite, le père se leva pour voir. Il se recoucha aussitôt quand il vit sa fille. Mais tout ce bruit avait trop réveillé les hôtes de la maison pour que nous songions à visiter. Nous primes peur et nous partîmes seulement avec 15 000 F, alors que nous aurions peut-être pu en prendre 20 fois plus. – – – – –

Un autre jour, nous étions aux environs de Piégut-Pluviers dans la Dordogne. Un de mes indicateurs vint m’avertir qu’une bonne femme assez riche venait de perdre son mari. ‘La Vieille est très superstitieuse, m’avait-il dit’. Vers minuit, je me rendis chez elle et après avoir fracturé la porte. Je me dirigeai vers le lit où elle reposait, enveloppé dans un long drap de lit qui me donnait l’apparence d’un fantôme. Je lui posai la main sur le front : ‘- Femme, lui dis-je, je suis ton mari et depuis ma mort, je suis à la porte du paradis sans pouvoir y entrer. St Pierre ne veut pas m’ouvrir parce que je n’ai pas d’argent. Il faut que tu m’en donnes’ Réveillée en sursaut, la bonne femme saute en bas de son lit et tombe à genoux. ‘- De l’argent, dit-elle effrayée, mais tu sais où il est, prends le toi-même et donne le à St Pierre pour qu’il ne te fasse plus attendre.’ J’étais très embarrassé, j’ignorais absolument où la femme cachait son magot. A tout hasard, je fouillai le lit et après quelques recherches, je trouvai une bourse contenant environ 15000 F. Vous pensez que jamais St Pierre n’a vu cette somme ! – – – – – Une autre fois, c’était à Dournazac, chez Lerouge, un fermier de la Garnaudie. Il pleuvait très fort et pour me mettre à l’abri, je rentrai dans la ferme. Je me couchai dans une étable. Vers minuit, je me dirigeai vers la chambre où couchaient le fermier et sa femme. La porte n’était fermée qu’au loquet. Je commençai sans bruit à fouiller les tiroirs d’une commode, lorsque je heurtai en passant un marmot qui dormait dans son berceau. Le gamin se mit à crier comme un voleur et moi, pour l’en empêcher, je commençai à le bercer. Effectivement, il se calma presque aussitôt. J’avais le temps de disparaître pendant que le fermier et sa femme, réveillés par les cris du mioche, se levaient. ‘ – Tiens dit le fermier en voyant le berceau qui remuait encore, notre gars qui se berce tout seul !’. Et il se rendormit sur ses deux oreilles. Je l’avais échappé belle ! – – – – – C’était à Pensol, j’étais occupé chez les époux Lagrange surnommés Béquamour, à ‘nettoyer’ l’argenterie qu’ils avaient dans leur buffet, lorsqu’en travaillant, je fis résonner un couvert d’argent que je mettais dans mon sac. Réveillé par ce bruit insolite, le mari se dresse : ‘ – Tiens, dit-il à sa femme, le chat qui fait des siennes. Au chat ! au chat ! se mit-il à crier’. Et moi, voyant là une planche de salut, je pris mon chapeau et le jetai à terre pour imiter le bond d’un chat surpris. Persuadé qu’il avait deviné juste, le brave homme se rendormit, et moi, je continuai mon travail. Le lendemain, il a dû s’apercevoir de son erreur… – – – – – Un jour de foire, à Piégut, je m’étais posté sur la grande route et j’avais soulagé déjà pas mal de voyageurs de leur bourse, lorsqu’au moment où j’allais me retirer, n’ayant pas perdu ma journée, je vis un paysan qui passait près de moi. Je lui posai comme aux autres la question employée en pareil cas : – ‘La bourse ou la vie ! – Je n’ai rien, me dit-il, et je suis si pauvre que demain je vais être saisi si je n’ai pas payé 600 f que je dois à mon propriétaire’ Emu de l’air de sincérité du bonhomme, je lui tendis ma bourse en disant : – ‘Il ne sera pas dit que Burgou n’aura pas fait la charité, et puisque l’occasion s’en présente, prends la somme qui t’est nécessaire et porte là à celui à qui tu la dois. Je ne te demanderai qu’une chose en échange, me dire l’endroit où ton propriétaire la placera.’ Le lendemain, le propriétaire était payé ; le surlendemain, il lui manquait non seulement les 600 F qu’il venait de toucher la veille, mais encore une quinzaine de mille francs avec lesquels il les avait placés. »

C’est ainsi que Burgou était philanthrope à ses moments perdus. La pince-monseigneur se faufile dans la chatière de la serrure pour soulever le loquet. La porte ne grince pas sur ses gonds bien huilés et s’ouvre juste ce qu’il faut pour permettre à un homme d’entrer. Dans le silence à peine troublé par la respiration ralentie d’un dormeur, deux semelles glissent sur les dalles de la salle, au fond de laquelle l’alcôve, pour une fois a gardé son rideau entrouvert. Eclairé par un rayon de lune, un bras sort du lit, l’index pointé vers le meuble accolé au mur de la grange. La pince intervient une seconde fois et, quelques instants plus tard, un sac de cent pièces d’or glisse d’une étagère dans une poche. Le bras complice s’appuie alors sur le bord du lit. Deux jambes nues émergent. L’épouse du paysan saute prestement hors de l’alcôve. « – J’ai bien fait de laisser Eugène boire toute sa bouteille, ce soir. » Alors qu’excitée par le goût du fruit défendu, elle rejoint le cambrioleur en trois enjambées, lui prend la main et l’entraîne vers la grange. Dans le foin, tous deux rient de l’aventure. « – Tu vois, dit l’homme, c’est pas plus compliqué. Ton Eugène a encore bien assez de sous pour vous faire vivre, et toi, tu vas avoir ta récompense ! – Ah ! soupire la femme. Laisse Eugène où il est. Toi, tu es quelqu’un… ». Burgou s’est servi des femmes, et comme dans tout bon roman où elles évoluent, elles l’ont trahi. Ce Samson trouve sa Dalila : Catherine Delage, dite Binchau, qui tenait pour Burgou, une maison de prostitution à Piégut. Pour coucher avec la patronne, une belle femme, il fallait avoir brûlé une ferme ou détroussé une métairie. Tenons-nous en là et efforçons-nous de conclure. Pour moi, je considère ce petit homme de 1,59 m, court mais vigoureux, comme étant un paysan, madré, faisant partie de l’élite des paysans madrés. Point de culture, illettré probablement, quoi qu’on dise quelque part qu’il ait laissé, chez une de ses maîtresses un billet contenant des injonctions précises (après tout, il aurait pu les dicter). La morale ? Il avait dû en entendre parler, soit dans les conversations courantes, soit au prêche. Cela ne l’avait qu’effleuré. Son désir de jouissances matérielles, son désir de puissance, d’expansion de sa personnalité (les politiques d’aujourd’hui diraient son impérialisme) font de lui une force de la nature qui n’envisage même pas que des raisons morales puissent s’interposer. L’argent qui procure les jouissances, cet argent si rare chez le pauvre, si abondant chez le riche, est là, à portée de la main. Il s’agit de le prendre et de le faire si habilement, en évitant toujours de répandre le sang, qu’une éventuelle condamnation ne puisse conduire au pire, c’est-à-dire à la guillotine. Refusons lui donc tout sens moral, mais ne lui refusons pas l’intelligence. Ce n’est pas une intelligence perfectionnée par la culture rendue subtile par les dissertations philosophiques ou les abstractions mathématiques. C’est une intelligence intuitive, telle que celle qui est donnée, à des degrés divers, à tout être humain dès la naissance, pour qu’il puisse survivre. C’est en somme une intelligence plus près de la ruse que de celle que nous prêtons à un esprit distingué. Cette intelligence se manifeste à tout moment. Dans les procédés qu’il emploie pour dérober l’argent, pour se procurer les renseignements utiles, pour receler le butin (poutres creuses, cloisons tournantes, doubles sorties), pour corrompre ceux qui pourraient trahir. Il sait, sans y avoir peut-être jamais réfléchi, que l’argent lui donnera la puissance qui lui attachera ceux avec qui il le partage, qu’il fera taire les aubergistes chez qui il ira festoyer, qu’il lui assurera des succès d’alcôve auprès des femmes lasses de la médiocrité, de la triste quotidienneté de leur vie. Mais il sait aussi la force de la réprobation dont sont l’objet les filous, les voleurs. Il faut affaiblir cette réprobation, et pourquoi pas, au lieu de se faire haïr, se faire aimer, tout au moins admirer. Quelques générosités à l’égard de quelques victimes, quelques dons accordés de ci, de là, à des pauvres, une habile publicité, et voilà Burgou, le voleur, devenu Burgou le héros, le vengeur qui réalise une société plus juste sans recourir à un grand changement politique. La légende se crée, la réprobation devient sympathie, admiration même, sauf bien entendu, chez les victimes. La Justice se heurtera en bien des endroits à un mur de silence. Il faut relire les procès de 1837 et de 1939 pour qu’en soi, s’affaiblisse la tentation de la légende. Il faut voir ces comparses, faisant foin de toute fidélité, se dénoncer à qui mieux mieux ; il faut voir Burgou accabler sans vergogne ses compagnons. Le Héros, en un tour de main, se transforme en un odieux mouchard qui voit sans remords ses amis enchaînés partir pour le bagne, alors que lui, passant au service de la police, obtient la grâce des trois-quarts de sa peine. Cambrioleur ? Oui. – Gentleman ? Non. La justice immanente reprend ses droits et Burgou finit ses jours dans une affreuse misère. Voilà, pourrait-on dire, une fin toute morale, comme la fin de tout mélodrame qui se respecte. Mais la morale n’a pas entièrement triomphé. La légende a tenu bon ; elle tient encore. N’est-il pas plus joli de se représenter un Burgou, amusant filou, juste répartiteur d’argent, franc buveur, trousseur de cottes, riant aux éclats au cours des festins, aux dépens des gendarmes bernés, des jaloux ridiculisés, des avares pleurant devant leur escarcelle vide ? Et si je voulais terminer ce pensum de laboureur laborieux d’une manière toute homérique, pourquoi n’accepterais-je pas de dire est l’Achille d’une Iliade limousine, l’Ulysse d’une Odyssée en ce pays de rivières et d’étangs qu’assombrissent l’encaissement de ses vallées et la profondeur de ses bois ? Peut-on reprocher à la mémoire collective d’embellir une réalité qui en a si souvent besoin ?

 

Monsieur Thibaud Communication donnée au GRHIN

Le 5 février 1981 Archives de GRHIN n° 76

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